Vendredi 6 mai 2011
A l'issue de cette journée, il n’est pas aisé de tirer des conclusions tant ont été riches nos échanges. Les conclusions seraient d'ailleurs prématurées puisque nous sommes – je crois que nos dernières interventions en sont la preuve – au début d'un processus et non pas à son aboutissement.
Permettez moi, d'abord, de vous dire ma satisfaction de nous voir tous partager une volonté commune d'aller de l'avant et de prendre à bras le corps les défis qui sont les nôtres. Toutes les décisions ne nous appartiennent pas mais nous avons d'ores et déjà pu poser les bases d'un dialogue nouveau, qui devra être poursuivi. Entre les décideurs que nous sommes bien évidemment, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance à trouver. Mais également avec les usagers du train et, au-delà, avec tous ceux qui ont participé, à travers vous aujourd'hui, à notre réflexion commune.
Ces Assises doivent être le point de départ d'une nouvelle « démocratie ferroviaire » en Région Picardie. Les enseignements que nous avons collectivement retirés de la consultation publique préalable à nos travaux démontrent la nécessité de renforcer le lien entre les Picards et les organisateurs du transport ferroviaire. Je souhaite poursuivre dans cette voie en pérennisant le site internet créé pour les Assises afin qu'il soit le forum permanent d'expression et de proposition des usagers du train en Picardie.
Au-delà, nous devons réfléchir à la création d'une instance de médiation que les usagers pourront saisir pour que soit apportée aussi rapidement que possible une réponse aux interrogations soulevées au quotidien par les voyageurs sur les lignes de Picardie. L'un des enseignements de cette journée, c'est, en effet, à mon sens, la difficulté que rencontrent trop souvent les usagers de ne pas savoir vers quel interlocuteur se tourner lorsqu'ils en éprouvent le besoin.
Un des chantiers prioritaires à ouvrir à cet égard est celui de la gestion des situations perturbées, en particulier en cas d'intempéries. Il sera nécessaire de mettre en place un ensemble cohérent de mesures afin de faire face à des évènements entraînant une dégradation des conditions de circulation sur le réseau ferré régional. Un véritable « plan de gestion de crise » doit permettre d'améliorer l'information des voyageurs, la réactivité́ face aux aléas, l'anticipation des ressources nécessaires pour garantir la robustesse du service public du train.
Il ressort également de nos travaux d'aujourd'hui la nécessité de préparer l'évolution de l'offre TER. En tant qu'autorité organisatrice, la Région engage dès maintenant la préparation de la convention qui organisera le TER Picardie après 2012, année d'échéance de la convention qui nous lie avec la SNCF. Nous lancerons pour cela, dans les prochains jours, un audit de cette convention.
Cependant, sans attendre cette échéance, parmi les propositions nombreuses faites dans le cadre des Assises, plusieurs peuvent être étudiées dès maintenant : je pense au renforcement des offres tarifaires - en direction des demandeurs d'emploi ou pour les loisirs. Je retiens également l'idée de la suppression des premières classes dans les TER, pour augmenter la capacité des trains et harmoniser notre offre avec celle des Régions voisines.
A l'occasion de la révision du Contrat de Projets Etat-Région, je souhaite, Monsieur le Préfet, que la priorité soit mise sur un plan d’urgence pour le réseau ferroviaire régional, pour améliorer la régularité et la ponctualité sur les lignes les plus fragiles, en partenariat avec Réseau Ferré de France et la SCNF. Je souhaite également y faire figurer des projets d'accessibilité des gares pour les personnes à mobilité réduite.
Démocratie ferroviaire, plan de gestion de crise, révision de la politique tarifaire, maintien de la qualité de l'infrastructure : la Région Picardie sera, croyez-le bien mesdames et messieurs, la garante d'un service public du train pérenne et adapté aux besoins.
Cependant, au-delà des mesures d'urgence à prendre, nos travaux ont également montré que rien ne se fera sans une ambition renouvelée pour l'ensemble des acteurs du train. La Région ne pourra pas, à elle seule, faire face aux investissements nécessaires.
Nous fêterons, le 1er janvier prochain, le 10ème anniversaire du transfert aux Régions de l’organisation et du financement des services ferroviaires régionaux de voyageurs. Pendant ces 10 années, mon prédécesseur puis moi-même depuis 2004, avons fait en sorte que la Région consacre au transport ferroviaire un effort très important – j’ai plusieurs fois rappelé aujourd’hui qu'il est le plus important de France par habitant. C'est donc, dans ce domaine comme dans tant d'autres, un véritable rattrapage que nous avons voulu mener.
Je vous laisse en juger. A son initiative, ou bien à chaque fois qu'elle a été sollicitée, la Région a répondu présente :
- De 2002 à 2010, la Région a investi 500 millions d'euros pour la modernisation du matériel roulant, avec une dotation de l'Etat à hauteur de 128 millions d'euros. Les ¾ du parc régional ont été renouvelés. Mais bien évidemment se pose la question, à plus ou moins brève échéance, du quart restant… pour des trains dont la Région fait l’acquisition, mais qu’elle ne possède pas !
- La problématique est la même en ce qui concerne les gares. Nos échanges vous ont donné un aperçu de la complexité du sujet. Entre l’Etat, la SNCF, RFF, Gares et Connexions… Les seules certitudes, c’est que la Région est interpellée pour rénover les gares de son territoire, que celles-ci ne lui appartiennent pas et qu’elle a l’obligation d’assurer leur accessibilité aux Personnes à Mobilité Réduite. Nous n’avons pas fui nos responsabilités : la Région a adopté en 2008 son schéma directeur d’accessibilité. Il nous en coûtera au bas mot 105 millions d’euros dans les 5 ans qui viennent. Sans compter bien évidemment les programmes réguliers de modernisation, pour lesquels la Région est le principal financeur, en moyenne aux ¾ de la dépense totale.
- Je ne voudrais pas vous assommer avec les chiffres, mais il y a un autre sujet concernant l’investissement ferroviaire qui relève toujours de la même problématique. Il s’agit des voies placées sous la gestion de Réseau Ferré de France et propriété de l’Etat. La Région n’a, en la matière, aucune compétence obligatoire. Mais elle a fait le choix, tant qu’elle l’a pu, de participer à l’entretien et à la remise à niveau des axes ferroviaires picards. Cela a représenté un investissement qui dépasse largement les 100 millions d’euros. Pour l’avenir, compte tenu de l’état du réseau, je suis très pessimiste, vous l’aurez bien compris, sur la capacité des pouvoirs publics, quels qu’ils soient, à faire face financièrement aux besoins d’entretien et de modernisation du réseau. Or, c’est un véritable plan d’urgence que nous devons mettre en place pour certaines de nos lignes. Nous aurons, également, à assurer le développement des infrastructures nouvelles dont la Picardie a besoin : je veux parler, par exemple, du grand projet régional Picardie – Roissy, dont tous les acteurs, régionaux et au-delà, soutiennent le caractère structurant et prioritaire… et pour laquelle la Région a d’ores et déjà programmé 10 millions d’euros d’études.
Voilà, très rapidement, le résumé des préoccupations régionales en matière d’investissement. Vous pourriez me dire que si la Région a consenti cet effort régulier pendant toutes ces années, rien ne l’empêche de continuer.
Je veux m’arrêter sur ce point car il est essentiel pour comprendre la nouvelle situation du transport ferroviaire.
D’abord, je rappelle à nouveau que les Régions ont perdu la maîtrise de leurs recettes et donc leur capacité à décider du niveau d’investissement qu’elles jugent souhaitable. C’est dorénavant entre des investissements qui se concurrencent que nous, conseillers régionaux, devons arbitrer.
Ensuite, ces investissements se trouvent directement concurrencés à leur tour par l’évolution de nos dépenses de fonctionnement. Même si je ne peux que me réjouir du succès des TER, dont la fréquentation a augmenté de 50% depuis que la Région en exerce la compétence, je dois constater l’augmentation de la charge supportée par la Région pour assurer ce service. Or, sans maîtrise de ces coûts de fonctionnement, l’investissement n’est tout simplement plus possible.
Enfin, et c’est ce qui explique à mes yeux la caducité de notre modèle d’exploitation ferroviaire, c’est que la Région n’a aucune maîtrise de l’évolution du coût du service. La Région subit les évolutions décidées par d’autres, l’Etat en particulier :
- suppression de trains Corail Intercités, que la Région remplace quand elle le peut par des TER pour ne pas dégrader le service
- Cadencement en 2012, qui pourrait se traduire par une augmentation de la facture régionale ou par une remise en cause de la qualité de service pour les usagers
- Augmentation des charges liées aux gares – avec le futur décret Gares et Connexions – ou liées aux sillons – j’ai cru comprendre que les péages de RFF allaient croître significativement dans les années à venir ?
Il y aurait malheureusement d’autres sujets, plus ou moins importants qu’il faudrait ajouter à cette liste, mais je me limite à l’essentiel.
La situation est donc la suivante : des Régions (et des opérateurs ferroviaires) dont les capacités d’investissement sont bridées avec un coût de fonctionnement du service non maîtrisé pour les Régions - le déficit s’accroissant quand bien même la fréquentation augmente. Plus grave encore, il arrive que les investissements décidés par la Région entrainent des coûts de fonctionnement supplémentaires. La modernisation du service public s’accompagne alors de l’assèchement des ressources chargées de le financer.
Mesdames et Messieurs, vous l’aurez compris, je pense tout simplement que sans une réforme de ce modèle, c’est l’avenir même du service public ferroviaire tel que nous le connaissons qui sera remis en cause.
Cela appellera sans doute de prendre des décisions nationalement pour asseoir la compétence de la Région sur une ressource fiscale propre. Nous ne pourrons pas continuer à cofinancer la modernisation du réseau et assurer le développement du TER sans disposer d’une ressource fiscale suffisante, dynamique et pérenne.
A notre niveau, et c’est sur ce sujet que je voudrais terminer mon intervention, nous devons, la Région, la SNCF, RFF, l’Etat, travailler ensemble sur le financement du système ferroviaire et sur une nouvelle gouvernance indispensable. Nous pouvons, nous devons mutualiser nos moyens pour plus d’efficience et apporter dès maintenant une réponse aux besoins des usagers. Un partenariat renouvelé, c’est également, la nécessité d’une transparence plus grande des coûts et des recettes d’exploitation des TER et de gestion des infrastructures, d’une meilleure symétrie d’information entre nous tous, pour prendre, en toute connaissance de cause, les meilleures décisions possibles.
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